Au 68e Festival de Cannes, de qualité plutôt moyenne, les réalisatrices n’ont certes pas été au-dessus de la mêlée, mais il y a quand même eu l’une ou l’autre bonne surprise, notamment dans les premiers films. Petit tour d’horizon de la création cinématographique au féminin.
À l’exception de la Japonaise Naomi Kawase (quatre sélections en compétition officielle et un Grand Prix du Jury pour La forêt de Mogari en 2007) et de la Française Maïwenn (Prix du Jury en 2011 pour Polisse), les dix (!) femmes présentes avec des longs métrages en 2015 à Cannes, toutes sections confondues, ne font pas partie de ce qu’on appelle les «habitués» sur la Croisette. Quatre d’entre elles présentaient leur premier long métrage. Étant donné que la participation féminine au plus grand festival de cinéma du monde a toujours été marginale, cela n’est guère étonnant. Que quatre également soient françaises ne surprend pas non plus. Le cinéma français est le plus prolifique du monde dans l’art et essai célébré à Cannes et il fait depuis longtemps une belle place aux cinéastes femmes. Qu’enfin quatre des réalisatrices soient par ailleurs actrices peut paraître plus anecdotique, mais d’une part, la célébrité d’une Natalie Portman aide à ouvrir bien des portes et d’autre part, l’exercice d’un deuxième métier (mieux payé par rapport au temps investi!) permet peut-être à ces femmes de surmonter les passages à vide tout en leur apportant un supplément de confiance en elles-mêmes.
Ancienne enfant-star (elle avait 12 ans quand elle s’est retrouvée face à Jean Reno dans Leon de Luc Besson), oscarisée pour The Black Swan, Natalie Portman travaillait depuis huit ans à l’adaptation du roman autobiographique d’Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres, dans lequel il raconte sa jeunesse et le suicide de sa mère au temps de la création d’Israël. Née à Jérusalem d’une mère américaine et d’un père israélien, avec des grands-parents juifs ayant fui l’Europe antisémite dans les années 1930, Natalie Portman s’est reconnue dans l’histoire de l’écrivain et sa réflexion sur la politique israélienne (considéré comme un représentant de la gauche sioniste, Oz milite pour une solution à deux États). Mais d’évidence, elle a été tout aussi fascinée par Fania, la mère de l’écrivain. Issue de la bourgeoisie juive en Pologne, chassée de son pays d’origine par la montée de l’antisémitisme, Fania a une vision très romantique du nouvel État d’Israël et de son jeune mari. Le mythe de la Terre promise et celui du Prince charmant se briseront cependant d’un même élan contre une réalité prosaïque où la haine prend le dessus sur la fraternité, et le mari se révèlera certes bon père et bon époux, mais nettement moins héroïque que ne le rêvait Fania. Interprétant elle-même le rôle de Fania dans A Tale of Love and Darkness (Sélection officielle), Natalie Portman a tenté de comprendre à quel moment cette jeune femme idéaliste et pleine d’imagination a perdu le goût de vivre. Mais après un début intriguant, le film se perd dans une reconstitution appliquée de l’époque et des tentatives maladroites pour transposer à l’écran certains procédés littéraires. Les rêveries de la mère sont mises en scène dans des séquences plutôt kitsch et la réalisatrice fait tellement attention à ne pas blesser les susceptibilités palestiniennes que son film en apparaît au final comme exsangue.
Contrairement à Natalie Portman, Emmanuelle Bercot a depuis toujours mené en parallèle ses deux carrières de comédienne et de réalisatrice. À Cannes, elle vient de remporter un double triomphe, en voyant son film La tête haute présenté en ouverture du festival et en remportant le prix de la meilleure actrice pour son rôle dans Mon roi. Dans La tête haute, elle raconte l’histoire d’un jeune garçon qui doit être remis dans le droit chemin par les institutions républicaines. Le film relève du cinéma engagé avec ce que cela suppose de meilleur et de pire. Le meilleur, c’est une description plutôt réaliste (du moins dans la première moitié du film) du quotidien de juges pour enfants et d’éducateurs faisant tout ce qu’ils peuvent pour donner leur chance à des jeunes qui se retrouvent en marge de la société et du système scolaire. Le pire, c’est une vision très parisienne de la province (en l’occurrence Dunkerque, peuplé par des «white trash» à la française dont Sara
Forestier — jupes trop courtes, dents pourries — incarne l’archétype) et un scénario de plus en plus unidimensionnel aboutissant à une célébration assez forcée de la République représentée par une Catherine Deneuve très maternelle. À cela s’ajoute une étrange américanisation à la fois du fond et de la forme. Du fond, quand le salut n’est envisagé que par la venue de l’enfant (après un avortement évité au dernier moment, dans une scène ridicule que ne renieraient pas les «pro-life» outre-Atlantique!). De la forme, quand toute symbolique est lourdement soulignée, la musique noie la réflexion dans l’émotion et le
drapeau tricolore flotte sur la dernière image!
En interprétant Tony, le personnage principal dans Mon roi de Maïwenn (Compétition), Emmanuelle Bercot change d’univers et de registre. Le début de Mon roi laisse présager le pire: immobilisée par un accident de ski, Tony rumine sa relation passée avec Giorgio. La rumeur prétend que ce Giorgio serait en fait la transposition à l’écran du rappeur Joey Starr avec lequel la réalisatrice (et également actrice) Maïwenn a vécu une liaison tumultueuse. Elle le regarde en tout cas avec les yeux d’une femme amoureuse: tel qu’il est interprété par Vincent
Cassel, ce Giorgio est charmeur, dragueur, inconstant, manipulateur… et un peu trop épris de sa liberté. Tony est avocate mais de son boulot, on saura très peu puisqu’elle ne vit et respire que pour son mec. Cette dépendance affective d’un homme qui n’en souhaite pas tant n’est toutefois jamais vraiment traitée dans le film qui suit, de façon divertissante mais au final assez superficielle, une histoire d’amour très parisienne. Vincent Cassel, en grande forme, porte le film et, malgré ou à cause de son côté machiste assumé, c’est par ses yeux que l’on regarde le personnage de Tony qui suscite ainsi plus de pitié (ou d’agacement) que d’empathie. Heureusement, il y a un après-Giorgio où elle retrouve sa raison, sa liberté et l’estime des spectateurs. Quant à l’interprétation d’Emmanuelle Bercot, on est en droit de la trouver quelque peu hystérique. Mais elle a sans doute plu à Xavier Dolan (J’ai tué ma mère, Mommy), membre du jury cannois et grand amateur de personnages féminins au bord de la crise de nerfs.
Remarquée en 2012 avec Augustine, une fiction sur l’hystérie féminine, Alice Winocour sort des sentiers battus en réalisant un film de genre et, chose encore rare dans les films tournés par des femmes, en choisissant comme personnage principal un homme dans son film Maryland (Un Certain Regard). Vincent est un vétéran de guerre traumatisé auquel Matthias Schoenaerts prête son physique très avantageux. Devenu agent de sécurité, il doit protéger Jessie (Diane Kruger en version moderne de la blonde hitchcockienne), l’épouse d’un mystérieux millionnaire. Commence alors entre Vincent et Jessie, dans l’immense villa nommée Maryland, un étrange jeu de cache-cache, elle se dérobant sans cesse à son regard et lui la guettant sur des caméras de surveillance, à travers des vitres ou des fenêtres. Mais ce regard désirant de l’homme sur la femme se double ici de celui, tout aussi érotisant, qu’Alice Winocour pose sur Matthias Schoenarts. Malheureusement, elle néglige ce faisant de rendre un tant soit peu intéressant le personnage de Jessie qui reste un fantasme. La réalisatrice est également moins adroite quand elle fait virer son film vers le thriller politique (le mari est supposé être impliqué dans une sombre affaire de ventes d’armes). Trop d’invraisemblances et de coups de théâtre cassent alors le
suspense et le charme.
Dans un tout autre genre, Alice Winocour est aussi la coscénariste du film Mustang, premier long métrage de Deniz Gamze Ergüven (Quinzaine des Réalisateurs). Turque mais élevée en partie en France par un père diplomate, cette dernière dénonce le sort fait aux jeunes filles dans son pays natal. Vibrant plaidoyer pour le droit des femmes à décider de leur vie, Mustang a pour protagonistes cinq sÅ“urs adolescentes et orphelines. Quand le récit commence au début d’un bel été, elles sont libres et belles comme les chevaux sauvages auquel le titre fait allusion. Mais très vite, leur liberté insouciante attire sur les cinq soeurs les foudres de la petite communauté patriarcale dans laquelle elles vivent. Plus par peur du qu’en-dira-t-on que par conviction personnelle, leur grand-mère va les déscolariser et les séquestrer puis les marier une par une au premier venu afin de sauvegarder leur honneur. Et peu importe que l’une d’elle se suicide, que les autres essaient par tous les moyens d’échapper à leur sinistre sort. La sensualité avec laquelle la réalisatrice filme ses jeunes actrices est le reflet d’une féminité assumée qui devient rebelle quand elle se trouve étouffée au nom de traditions barbares. Par la grâce de sa mise en scène et le naturel de ses jeunes actrices, Deniz Gamze Ergüven échappe aux défauts habituels du cinéma militant et signe une belle et forte dénonciation de l’injustice faite aux femmes, qui lui a valu le prix Label Europa Cinémas.
La volonté de décider de sa propre vie est aussi ce qui anime Nahid dans le film qui porte son nom, encore un premier long métrage, cette fois d’une cinéaste iranienne et produit par le très officiel Centre iranien du cinéma documentaire et expérimental (Un Certain Regard). Sous son nouveau président Hassan Rouhani, l’Iran semble assouplir un peu sa politique culturelle. La réalisatrice Ida Panahandeh n’hésite en tout cas pas à traiter des sujets difficiles: une femme divorcée, amoureuse d’un veuf, ne peut contracter avec lui qu’un mariage temporaire. Si elle se remarie pour de bon, elle perdra la garde de son enfant en faveur de son ex-mari, un toxicomane délinquant. Interprétée par l’excellente Sareh Bayat (la servante dans Une séparation), Nahid revendique pour elle une liberté qu’en Iran comme en Turquie, les lois patriarcales dénient aux femmes. Tourné à Anzali dans le nord de l’Iran, le film utilise très bien l’atmosphère grisâtre et froide de cette station balnéaire en automne pour rendre compte des interdits auxquels se heurte sans cesse la jeune femme, coincée entre son amant, son mari et son fils, obligée de vivre un amour secret, humiliée par un mariage temporaire certes légal en Iran mais mal vu, et constamment contrainte à utiliser des subterfuges pour tenter
d’arriver à son but.
Egarée en compétition, Valérie Donzelli (La guerre est déclarée, 2011) utilise de façon naïve et lourdingue un mélange de styles et de références cinématographiques pour adapter un scénario écrit jadis pour François Truffaut sur une histoire d’inceste au début du XVIIe siècle. Et alors que le film quasi-
documentaire Songs My Brothers Taught Me de Chloé Zhao (Quinzaine des Réalisateurs), partiellement improvisé et en grande partie interprété par des habitants d’une réserve lakota, intéresse par sa description d’une culture somme toute peu connue, An de Naomi Kawanese, «feel-good movie» japonais dont la protagoniste est une vieille femme qui va rendre le goût de vivre à un alcoolique traumatisé par un passé douloureux en confectionnant pour lui une pâte de haricots rouges (Un Certain Regard), est une production beaucoup plus commerciale et un peu trop simpliste.
On leur préférera l’excellent court métrage Le repas dominical de Céline Devaux, en compétition officielle. Après avoir remporté le Prix de la meilleure animation francophone à Clermont-Ferrand pour son film de fin d’études Vie et mort de l’illustre
Gregori Efimovitch Raspoutine, la jeune cinéaste utilise la situation archiconnue du déjeuner dominical de famille (vécue ici par un jeune homme dont
l’homosexualité met mal à l’aise sa famille) pour dessiner un portrait drôle et poignant des relations familiales. Comme Ida Panahandeh et Deniz Gamze Ergüven, elle est l’une des cinéastes à suivre après ce 68e Festival de Cannes. u
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