« Une intime conviction » d’Antoine Raimbault

Premier long métrage d’Antoine Raimbault, Une intime conviction est un film passionnant à plusieurs égards. D’abord, parce qu’il revient sur l’affaire Viguier qui fut un fait divers très médiatisé en France, souvent repris dans les médias (e.a. dans l’émission Faites entrer l’accusé sur France 2) et qui demeure mystérieux du fait même qu’il n’y a pas de cadavre. Suzanne Viguier a disparu en 2000 sans laisser de trace. Soupçonné de l’avoir tuée et fait disparaître le corps, son mari Jacques, professeur à l’université de Toulouse, est acquitté une première fois en 2008. Le procureur général fait alors appel et lors de ce deuxième procès, Viguier est défendu par Éric Dupond-Moretti, avocat vedette haut en couleurs, incarné dans le film par l’épatant Olivier Gourmet.

Mais au lieu de se focaliser sur la personnalité du professeur comme la plupart des fictions et documentaires qui se sont intéressés avant lui à cette affaire, Raimbault choisit de faire de Viguier une présence opaque (Laurent Lucas l’interprète comme un homme à la fois insaisissable et désemparé) contre laquelle viennent se fracasser le soutien des uns tout autant que les soupçons des autres. Le mutisme de l’accusé, ainsi que l’absence de preuves et de cadavre, facilitent par ricochet les rumeurs et les hypothèses de toutes sortes au milieu desquelles le juge et les jurés devront se forger une intime conviction. C’est ce que comprend d’instinct Olivier Durandet, l’amant de Suzanne et principal accusateur de Jacques, qui tente d’influencer par tous les moyens les autres témoins et même certains enquêteurs pour faire condamner le mari.

Antoine Raimbault joue adroitement de nos attentes, conditionnées par Hollywood. Tous les cinéphiles connaissant le déroulement et les enjeux d’un procès criminel aux Etats-Unis. La procédure contradictoire de la justice américaine donne lieu à des joutes oratoires et des révélations théâtrales qui offrent de beaux moments de cinéma. En France, l’affrontement entre le procureur et l’avocat est moins spectaculaire et, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, ce n’est pas au défenseur d’apporter les preuves de l’innocence de son client, le juge d’instruction ayant avant le procès enquêté à charge et à décharge.

C’est ce qu’essaie de faire comprendre Maître Dupond-Moretti à Nora, mère célibataire persuadée de l’innocence de Viguier. Comme l’amant s’acharne à semer les petits cailloux devant aboutir à la condamnation du mari, Nora va tout faire pour prouver la culpabilité de l’amant afin d’innocenter Viguier. Interprétée par Marina Foïs, Nora est un personnage fictif qui représente à la fois le spectateur et le réalisateur, ce dernier ayant comme elle suivi à l’époque le procès en appel. C’est Nora qui va persuader Dupond-Moretti d’accepter l’affaire, elle encore qui va se transformer en son assistante improvisée pour écouter des dizaines d’heures d’écoutes téléphoniques. C’est par ses yeux que nous regardons le procès et l’accusé et c’est avec elle que nous nous laissons entraîner à souhaiter l’acquittement de Viguier. Nora nous transmet son intime conviction, mais sur quoi cette conviction est-elle basée ? Et comment influencer celle des jurés alors que la notion même d’« intime conviction » est particulièrement vague.

Alors non, on n’est pas dans un film américain. Il n’y aura pas d’« Objection, Votre Honneur » (qui n’existe pas dans les procès français), Dupond-Moretti se contentant d’un goguenard « Ce n’est pas le moment de m’interrompre » lorsque le procureur fait mine de vouloir intervenir. Il n’y aura pas d’histoire d’amour entre Nora et Jacques Viguier, pas plus qu’entre Nora et Dupond-Moretti. Il n’y aura pas de discours sentimental sur la famille et les enfants de Jacques, tiraillés entre une mère qui a disparu et un père accusé de l’avoir tuée. Il n’y aura pas le coupable ou la vérité. Juste une réflexion captivante sur les imperfections et la complexité d’un système judiciaire qu’Antoine Raimbault, ancien monteur, nous fait découvrir avec un parfait sens du rythme, de l’écriture et de la mise en scène.

Actuellement au ciné Utopia

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