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forum_C : „Afghanistan. Pays meutri par la guerre“ de Mayte Carrasco et Marcel Mettelsiefen
★★★★☆
(Viviane Thill) Au cours des 50 dernières années, l’Afghanistan s’est retrouvé au centre d’une multitude de conflits impliquant le monde occidental. Pourtant, la plupart des Occidentaux savent très peu de choses sur ce pays dont les habitants s’enorgueillissent d’avoir repoussé tous les envahisseurs depuis Alexandre le Grand.
Femmes afghanes attendant devant un hôpital, Afghanistan 2003
(c) United States Agency for International Development
La série documentaire d’arte intitulée Afghanistan. Pays meurtri par la guerre (ou Afghanistan. Das verwundete Land dans la version originale allemande) nous replonge dans un demi-siècle de guerres quasi continues dans lesquelles la population afghane est constamment prise entre le marteau et l’enclume : entre le communisme et l’islamisme d’abord, entre différents chefs de guerre ensuite, et plus récemment entre Occidentaux et terroristes de plusieurs obédiences. Pour ne donner qu’un exemple, n’est-il pas effarant que la présence d’un seul homme (Ben Laden) dans un pays de 35 millions d’habitants ait pu justifier le bombardement de ce pays et la mort de dizaines de milliers de personnes ?
La réalisatrice espagnole Mayte Carrasco et son coréalisateur allemand Marcel Mettelsiefen (nomination à l’Oscar du meilleur court métrage documentaire en 2016 pour Watani : My Homeland sur des réfugiés syriens en Allemagne), qui travaillent tous les deux depuis de nombreuses années au Moyen-Orient et en Afghanistan, ont tenté de désenchevêtrer les événements ayant mené l’Afghanistan d’un pays en voie de modernisation au début des années 1960 aux luttes sans fin pour le pouvoir qui continuent jusqu’à aujourd’hui.
Jeunes femmes dans un parc à Kaboul dans les années 1960
(c) Dr. Bill Podlich
Partant du règne du roi Mohammad Zaher Shah qui avait maintenu une paix à peu près stable depuis son arrivée au pouvoir en 1933 et fait de Kaboul une ville moderne, avec clubs de jazz, femmes en mini-jupe et les premiers touristes qui traversent le pays en route vers l’Inde, jusqu’aux dernières élections en 2019, ils racontent la descente de l’Afghanistan dans une spirale infernale, chaque prise de pouvoir étant suivie par une courte période d’accalmie et d’espoir avant qu’une nouvelle guerre ne relance les combats et les bombardements. Aux communistes ont ainsi succédé les moudjahidine, puis les Taliban, puis les Américains, mettant à chaque fois à feu et à sang le pays qui s’enfonçait parallèlement dans la corruption et la misère.
Divisé en quatre parties intitulées Le Royaume, L’armée soviétique, Moudjahidine et Taliban et Les troupes de l’OTAN, le documentaire retrace, en la condensant par la force des choses pour une meilleure compréhension, 50 ans d’histoire récente à travers de nombreuses et souvent étonnantes images d’archives et des témoignages de personnalités de tous bords.
Gulbuddin Hekmatyar, 2019 (c) LOOKSfilm
Certains sont connus comme le sinistre Gulbuddin Hekmatyar, surnommé (ce que le film ne dit pas) « le boucher de Kaboul » pour les massacres qu’il a perpétrés durant la guerre civile, ou bien Sima Samar, médecin et lauréate en 2012 du prix Nobel alternatif, qui fut ministre de la condition féminine dans le gouvernement afghan en 2001. Ou encore Milton Bearden, ancien agent de la CIA qui a entraîné les moudjahidine durant l’occupation soviétique, et Massoud Khalili, moudjahidine atypique et haut en couleurs, compagnon d’armes du commandant Massoud, qui fut grièvement blessé à ses côtés lorsque ce dernier fut assassiné en 2001. Mais aussi des inconnus, officiers et journalistes soviétiques, soldats américains, médecins afghans et même le beau-frère du dernier roi afghan. Beaucoup de femmes car la série met l’accent sur l’expérience de celles-ci qui se retrouvent à chaque fois au cœur des enjeux politiques. Les Soviétiques veulent les libérer, les moudjahidine aimeraient les renvoyer à la maison, les Taliban les font prisonnières et les transforment en ces fantômes bleus qui hantent les rues de Kaboul. Parmi elles, on retiendra les témoignages de Shukria Barakza, femme politique et féministe revendiquée, qui a fondé sous les Taliban une école secrète pour filles et Nadia Ghulam, grièvement brûlée sur tout le corps lors d’un bombardement et qui se fit ensuite passer durant 10 ans pour un garçon afin de nourrir sa famille.
Sima Samar (c) LOOKSfilm
Et puis il y a les absents, Oussama Ben Laden bien sûr, que les Taliban étaient, selon Milton Bearden, prêts à abandonner aux Américains, et le commandant Ahmed Chah Massoud qui ressemblait à Bob Dylan et se rêvait en Che Guevara mais que le film n’idéalise pas. Après le départ des Soviétiques, Hekmatyar et Massoud se livrent une nouvelle guerre pour le contrôle de Kaboul, étouffant sous les bombes et les cadavres les espoirs nés de la victoire sur les Soviétiques.
On aurait aimé en savoir plus sur tous ces personnages extrêmement complexes, survivants de batailles dont on n’apprend que des bribes. Tirés de leur contexte biographique, leurs témoignages ne sont pas toujours faciles à déchiffrer, on devine des non-dits, des exagérations peut-être, des édulcorations sûrement. Le film lui-même doit simplifier, notamment l’histoire de l’ingérence des Etats-Unis et leur alliance avec les moudjahidine plus ou moins fondamentalistes, ou encore celle, presque inextricable pour un Occidental, des rivalités entre ethnies et seigneurs de guerre. Afghanistan. Pays meurtri par la guerre déblaie le terrain, donne les clés essentielles pour commencer à comprendre l’histoire récente de ce pays et encourage le spectateur intéressé à s’informer davantage. C’est ce qui s’appelle de la belle œuvre de vulgarisation et de la vraie télévision de service public.
Réunion à la Maison Blanche sur l’invasion soviétique de l’Afghanistan, entre le président Ronald Reagan et des moudjahidine, le 2 février 1983
(c) US National Archive
Afghanistan. Pays meutri par la guerre reste visible jusqu’au 5 juillet 2020 sur arte.tv.
Films à voir sur l’Afghanistan:
Wajma, une fiancée afghane (2013) de Barmak Akram. Une jeune femme, enceinte hors mariage, se révolte contre sa famille qui menace de la tuer. Disponible sur vod.lu
The Breadwinner (2018) de Nora Twomey (coproduction luxembourgeoise). Ce film d’animation se passe sous le régime taliban et raconte l’histoire d’une petite fille qui se fait passer pour un garçon pour nourrir sa famille. Disponible sur a-z.lu
Les hirondelles de Kaboul (2019) de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec (coproduction luxembourgeoise). Le destin croisé de deux couples confrontés aux Taliban. Disponible sur vod.lu et a-z.lu
L’orphelinat (2019) de Sharbanoo Sadat (coproduction luxembourgeoise). Sous l’occupation soviétique, la vie d’un jeune garçon dans un orphelinat à Kaboul. Inédit
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