Grimper toujours plus haut

„Le sommet des dieux“de Patrick Imbert

Le film à voir en priorité en cette rentrée n’est pas Dune ni No Time to Die. C’est Le sommet des dieux, coproduit au Luxembourg par Mélusine Productions. Conte philosphique et quête mystique, c’est une échapée folle, magnifique, au sommet de l’Everest.

© 2021 / Julianne Films / Folivari / Mélusine Productions / France 3 Cinéma / AuRA Cinéma

L’assaut conjugué de deux bulldozers – je veux parler bien sûr de Dune et No Time to Die – est censé sauver les salles de cinéma après la pandémie. Mais les victimes collatérales risquent d’être les « petits films » – petits par leur budget mais nullement par leurs qualités – qui ne bénéficient pas de campagnes de publicité à 100, voire 200 millions de dollars. Pour l’anecdote : le budget marketing du nouveau James Bond, dont la sortie a été plusieurs fois reportée donnant lieu à trois campagnes successives, pourrait atteindre les 400 millions de dollars. On estime que le film devra rapporter plus de 900 millions de dollars pour s’avérer rentable !

Alors que notre temps de cerveau disponible sera donc obnubilé par l’agent 007 (et la discussion sur son potentiel successeur) et Paul Atreides, d’autres films risquent de passer inaperçus. Et parmi les productions les plus fragiles figurent les films d’animation, surtout quand ils ne s’adressent pas en premier lieu à un public d’enfants. Malgré des réussites unanimement reconnues comme Persepolis (Marjane Satrapi, 2007), Valse avec Bachir (Ari Folman, 2008), Le chat du rabbin (Joann Sfar et Antoine Delesvaux, 2009), Funan (Denis Do, 2018), J’ai perdu mon corps (Jérémy Clapin, 2019), ou Les hirondelles de Kaboul (Zabou Breitman, Eléa Gobbé-Mévellec, 2019) pour ne citer que les plus récents et les plus connus, l’animation reste trop souvent perçue comme un genre dit mineur. Peut-être devrait-elle se chercher un nouveau nom, comme la bande dessinée qui a réussi à s’imposer comme un genre littéraire à part entière en se rebaptisant « roman graphique ».

© 2021 / Julianne Films / Folivari / Mélusine Productions / France 3 Cinéma / AuRA Cinéma

Grands espaces et quête philosophique

Vous vous en doutez, je vais chercher à vous convaincre des mérites d’un film d’animation. Il s’agit même d’une coproduction luxembourgeoise car le Luxembourg est depuis longtemps passé maître en la matière. On possède plusieurs studios d’animation réputés à l’étranger, des producteurs qui s’investissent dans le genre et il y a une catégorie réservée au film d’animation dans le Lëtzebuerger Filmpräis (cinq longs métrages et trois courts sont en lice pour l’édition 2021 qui aura lieu en novembre).

Alors donc, si vous rêvez de grands espaces et de paysages à couper le souffle, de héros qui se dépassent et risquent leur vie en affrontant de terribles dangers, de combats contre les éléments, de rivalités et de quête, il y a beaucoup mieux que Dune ! Cela s’appelle Le sommet des dieux et c’est coproduit au Luxembourg par Stéphan Roelants, producteur intransigeant qui sort une merveille après l’autre de ses sociétés Mélusine Productions et Studio 352 – on lui doit notamment Ma maman est en Amérique, Ernest et Célestine, Song of the Sea ou plus récemment Wolfwalkers et Les hirondelles de Kaboul.

© 2021 / Julianne Films / Folivari / Mélusine Productions / France 3 Cinéma / AuRA Cinéma

Initié par le producteur français Jean-Charles Ostorero et réalisé par Patrick Imbert (coréalisateur avec Benjamin Renner de Le grand méchant rénard et autres contes, 2017), Le sommet des dieux est l’adaptation d’une série d’albums graphiques de Jirō Taniguchi, elle-même adaptée d’un roman de Baku Yumemakura. Un photographe nommé Fukamachi (voix de Damien Boisseau) part à la recherche d’un alpiniste jadis célèbre. Il pense que ce Habu (Eric Herson-Macarel) détient la preuve que George Mallory et Andrew Irvine ont été en 1924 les premiers hommes à réaliser l’ascension de l’Everest. Le récit suit en parallèle les trajectoires de Fukamachi et Habu qui finiront par se rejoindre sur les parois verglacées de l’Everest.

[Le spectateur] entend le hurlement du vent, le craquement des glaciers, il éprouve le froid, la peur la souffrance, la difficulté de respirer, l’épuisement.

Ce qui commence comme une enquête journalistique se mue bientôt en quête. Mais point ici de personnage lourdement messianique comme dans Dune. Habu ne se bat pas pour une cause ni, au final, contre un concurrent. Il dit avoir un jour arrêté de se demander ce qui le pousse à monter toujours plus haut, par des voies toujours plus difficiles, dans des souffrances toujours plus grandes. Pourquoi fait-on ce qu’on fait ? Pourquoi certains doivent-ils confronter la mort pour se sentir vivants ?

© 2021 / Julianne Films / Folivari / Mélusine Productions / France 3 Cinéma / AuRA Cinéma

Pas besoin de se passionner pour l’alpinisme pour aimer le film

Pas besoin de se passionner pour l’alpinisme pour aimer le film. Le réalisateur Patrick Imbert avoue ne s’y être jamais intéressé auparavant. Mais il s’est documenté et alors que les personnages sont dessinés de façon assez rudimentaire, leurs gestes sont précis, leur expression est nuancée. Le spectateur a conscience de la force qu’il leur faut pour se hisser sur une corde. Il entend le hurlement du vent, le craquement des glaciers, il éprouve le froid, la peur la souffrance, la difficulté de respirer, l’épuisement. On est scotché devant la beauté de ces montagnes majestueuses, le jeu envoûtant de la lumière et l’obsession de ces hommes, minuscules, agrippés aux rochers, suspendus au-dessus du gouffre. Cette nature à la fois indifférente et grandiose offre un saisissant contraste avec la banalité et la médiocrité de la vie « sur terre », dans une mégalopole bruyante et sans charme telle que la perçoivent Habu et Fukamachi.  

Si le réalisateur nous donne au début les quelques informations nécessaires à la compréhension de l’histoire à travers les dialogues et la voix off de Fukamachi, la parole se raréfie au fur et à mesure que les deux personnages s’abandonnent à leur obsession. On aurait peut-être aimé alors qu’à certains moments la musique d’Amine Bouhafa soit un peu moins présente car même si elle est très belle, le vent entre les falaises (excellent travail sur le montage son !) suffit à nous bouleverser. Le sommet des dieux est une formidable réussite. Il ne faut pas écouter la pub : c’est LE film à voir en cette rentrée.

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