Pourquoi consacrer un article au personnage de l’athée dans le cinéma occidental ? Parce que, curieu­sement, cela ne semble pas exister. Il y a de nombreux ouvrages consacrés à la religion et aux croyants dans les films. Mais l’athée ne survient la plupart du temps qu’en creux dans ces analyses. Cela s’explique. Dans la vie, l’athée modéré ne s’identifie généralement pas par sa non-croyance1 tandis que l’athée militant se définit, lui, contre la croyance des autres. Pour que l’athéisme soit un thème dans un film, il faut donc d’abord que la religion le soit. Il n’est dès lors pas étonnant que le cinéma américain – produit d’un pays où l’on ne cesse d’invoquer Dieu ou de s’en revendiquer – s’intéresse plus souvent au sujet que d’autres cinématographies occidentales.

Des cinéastes européens se sont bien sûr posé la question de la non-existence de Dieu. On pense à Ingmar Bergman, Luis Buñuel ou Pier Paolo Pasolini qui se sont débattus avec le sujet tout au long de leur vie. Aux Etats-Unis, il faut citer Woody Allen qui règle son compte à Dieu dans la plupart de ses films. Toutes ces œuvres, complexes et parfois subversives, vont toutefois bien au-delà du champ de ce modeste article qui se propose de décortiquer comment sont représentés les athées dans quelques films grand public.

Believe and let believe

L’« American Association for the Advancement of Atheism » a été fondée en 1925. Deux ans plus tard, ses membres protestaient déjà contre un projet du réalisateur Cecil B. De Mille2 intitulé The Atheist et envoyaient à la puissante MPPDA (Motion Picture Producers and Distributors of America) une pétition exigeant de laisser Dieu en-dehors des films. La MPPD répondit que Dieu est dans tous les arts et ne saurait en être écarté3.

Les athées avaient quelque raison de se méfier. Dans la plupart des films qui évoquent alors l’athéisme, le personnage reniant Dieu semble immanquablement être amené à la fin à se réconcilier avec la foi. Le renoncement à la religion survient souvent après un deuil et c’est alors une guérison considérée comme miraculeuse, allant souvent de pair avec la rencontre d’un amour « pur », qui renvoie le personnage vers la religion, comme dans The Road to Glory de Howard Hawks (1926). Les médecins sont particulièrement tentés par l’athéisme et doivent être ramenés dans le droit chemin par une femme pieuse et/ou l’intervention du Tout-Puissant (The Sign Invisible, Edgar Lewis, 1918 ; When Dawn Came, Colin Campbell, 1920 ; My Friend the Devil ; Harry Millarde, 1922).

Dans The Flower of Faith (Burton King, 1916), un athée sur le point d’être lynché pour avoir couché hors mariage avec une jeune fille (!), est sauvé au dernier moment quand l’arbre auquel il va être pendu est frappé par la foudre ! On peut comprendre qu’il se mette à croire en Dieu. Parfois il ne faut rien de moins que le retour d’une morte pour convertir un athée (Flesh and Spirit, Joseph Levering, 1922). La guerre est évidemment un moment privilégié pour les miracles et les conversions. On ne citera pour exemple que l’histoire édifiante (mais apparemment véridique) de Johnny Ring. Durant la Guerre de Sécession, ce jeune militaire, fervent chrétien, prie sans relâche pour la conversion de son capitaine athée. Il meurt en donnant sa vie pour protéger l’épée de ce capitaine qui finit par se convertir (Johnny Ring and the Captain’s Sword, Norman L. Stevens, 1921).4

Beaucoup de ces films ont disparu. En revanche, The Atheist qui inquiéta tant les athées américains, nous est parvenu sous le titre – un tantinet plus racoleur – The Godless Girl (1929). Un panneau au début semble d’abord justifier les inquiétudes des athées : « It is not generally known that there are Atheist Societies using the schools of the country as their battle-ground – attacking, through the Youth of the Nation, the beliefs that are sacred to most of the people. » Le film est toutefois moins manichéen que cette introduction ne le laisse craindre. Il vise en fait les « fanatiques » de quelque bord qu’ils soient,­ « daughter of Atheism » ou « son of Gospel ». On pourrait le décrire comme une sorte de West Side Story dans lequel une séduisante étudiante athée et un austère étudiant chrétien s’affrontent avant de tomber amoureux dans le centre de rééducation où ils sont tous deux emprisonnés suite à une bagarre qui a mal tourné. Quand les deux tourtereaux se retrouvent de part et d’autre de la grille électrique qui sépare filles et garçons, celle-ci imprime dans la paume de la fille une brûlure en forme de croix ce qui l’amène à devenir croyante tandis que le garçon doute de plus en plus de sa foi. Le dernier panneau résume la morale de l’histoire : « It did teach us to believe – and let believe. » The Godless Girl s’avère ainsi plus ouvert d’esprit que la plupart des films de l’époque sur le même sujet.

Après la mise en œuvre du Code Hays au début des années 19305, Hollywood semble moins s’intéresser à l’athéisme, sans doute considéré comme un sujet trop délicat même si le Code n’interdit pas expressément sa représentation.

Science vs. religion : the light’s winning

Peu d’œuvres traitant de la non-croyance en l’existence de Dieu ont fait date dans l’après-guerre. Il faut attendre Inherit the Wind qui s’inspire en 1960 d’un procès célèbre aux Etats-Unis sous la dénomination « Monkey Trial ». Ce dernier opposa en 1925 le procureur presbytérien William Jennings Bryan à l’avocat Clarence Darrow, agnostique revendiqué, qui défendait le professeur John Thomas Scopes accusé d’avoir enseigné la théorie de l’évolution dans le Tennessee.

Le long métrage est l’adaptation d’une pièce de théâtre créée en 1955, en pleine chasse aux communistes. Coécrit sous pseudonyme par Nedrick Young, scénariste qui se trouvait alors sur la liste noire d’Hollywood6, produit et réalisé par le cinéaste libéral Stanley Kramer, le film utilise le procès historique pour dénoncer le maccarthysme qui partage avec l’intégrisme religieux certains points communs : anti-intellectualisme, insistance sur les valeurs reli­gieuses traditionnelles, méfiance vis-à-vis de la liberté de pensée.

Henry Drummond (le nom donné à l’avocat inspiré de Clarence Darrow, joué par Spencer Tracy) est accusé, avant même son arrivée, d’athéisme par le pasteur passablement intégriste de la ville sudiste où a lieu le procès. Le journaliste cynique interprété par Gene Kelly a quelque raison de la surnommer « the buckle on the Bible Belt ». Or, si le film milite résolument pour la liberté de parole et de pensée, il reste en fin de compte plus réservé sur la thématique religieuse. Drummond se fait traiter successivement et indifféremment d’athée, d’impie (« godless ») et d’agnostique et même « d’athée qui croit en Dieu ». Mais alors qu’il refuse l’appellation « Man of God », il ne se définit jamais lui-même dans un sens ou dans l’autre par rapport à l’existence divine. A la foi, Drummond dit préférer le raisonnement, et à l’opposition entre le Bien et le Mal la recherche de la vérité et de l’humanité. A la fin, il emmènera avec lui les deux livres au centre du procès : la Bible et « L’origine des espèces » de Darwin.

Presque 40 ans plus tard, le traitement de la question de Dieu dans Inherit the Wind trouve un écho dans Contact (1997), film de science-fiction mis en scène par Robert Zemeckis (auteur des très populaires Back to the Future, Who Framed Roger Rabbit et Forrest Gump) et coécrit par l’astrophysicien Carl Sagan. Agnostique proclamé, Sagan fut l’un des promoteurs du programme SETI qui se consacre à la recherche d’intelligences extraterrestres. Ce programme est au centre du film dont la protagoniste Ellie Arroway (Jodie Foster qui se dit elle-même athée) est une scien­tifique passionnée qui « écoute » l’espace en espérant un signe venu du ciel. Un jour, elle reçoit enfin le message tant attendu qui s’avère être un mode d’emploi pour construire un engin spatial capable de transporter les humains vers les aliens. Ellie espère bien sûr être l’heureuse élue qui ira à leur rencontre mais elle se heurte à son amant Palmer Joss, un prêtre catholique défroqué (il avait du mal avec le célibat), très sexy (puisque joué par Matthew McConaughey jeune) et très croyant.

Après avoir reçu le message venu de l’espace, un conseiller du président américain s’indigne : „We don’t even know if they believe in God !“ Sans doute peu familiers avec la culture américaine, les extraterrestres n’ont en effet pas précisé leur credo à ce sujet. Palmer et le comité de sélection qui doit désigner un.e astronaute pour aller à la rencontre des expéditeurs du message estiment qu’Ellie, qui avoue ne pas croire en Dieu dont elle ne peut pas prouver l’existence, n’est pas apte à représenter l’humanité, croyante à 95%.

Comme Inherit the Wind, le film est construit sur l’opposition entre d’un côté la science et la rationalité représentées – dans un élan féministe – par Ellie, et de l’autre la religion et les émotions incarnées par Palmer. Ellie est décrite comme une scientifique sérieuse et compétente qui se fait voler ses découvertes par des collègues masculins. Mais tout au long du récit, le réalisateur sème des petits cailloux pour nous rappeler qu’au fond elle n’est pas la mécréante qu’elle paraît. Elle dit plusieurs fois être en quête d’« une raison pour notre présence sur Terre ». Plutôt que de chercher la réponse à cette question auprès d’un Dieu hypothétique, elle s’est tournée vers les extraterrestres dont elle pourra prouver l’existence, ou du moins c’est ce qu’elle pense. Au moment de plonger dans l’inconnu, elle s’écrie quand même « Oh God ! »

Sauf que durant son voyage, il ne se passe qu’une seconde sur Terre, que sa caméra n’a rien enregistré, que les témoins ont vu le vaisseau spatial tomber dans la mer au lieu de s’élancer vers le ciel. Bref, personne ne la croit quand elle revient sur Terre, pleine des émotions de ce qu’elle a vécu. Elle ne peut rien prouver et se retrouve démunie face aux sceptiques qui l’interrogent et la mettent face à ses propres contradictions. Il n’y a qu’une personne avec laquelle elle puisse partager l’expérience qui vient de changer son existence : Palmer Joss dans les bras duquel elle se réfugie aussitôt. Ils partent main dans la main, incarnation vivante des livres (Darwin et la Bible) qu’emmenait Drummond à la fin de Inherit the Wind.

En 2014, Matthew McConaughey remercie Dieu en recevant un Oscar pour son rôle dans le film Dallas Buyers Club. La même année est diffusée la première saison de la série True Detective (créée par Nic Pizzolatto) dans laquelle il interprète un policier misan­thrope, névrosé… et athée. Au grand dam de son partenaire Marty (Woody Harrelson), son personnage Rust marmonne dans l’épisode 3 que « certain linguistic anthropologists think that religion is a language virus that rewrites the pathways in the brain, dulls critical thinking ». Inspiré par Schopenhauer et Nietzsche, il soutient que la vie humaine n’a pas de sens. Ce qui n’empêche pas les auteurs d’en faire à la fin un personnage christique, résurrection à peine symbolique comprise. Comme Ellie, il vit alors une « expérience » qu’on pourrait qualifier de mystique et qui lui rappelle que c’est l’amour (de son père pour Ellie, de sa fille décédée pour Rust) qui donne du sens à la vie. „Once, there was only dark. You ask me, the light’s winning.“

L’athéisme assumé et l’anticléricalisme

Mais si aux Etats-Unis, Dieu montre toujours le bout de son nez ou de sa lumière, le cinéma européen a une approche différente, moins spirituelle et sentimentale. L’opposition entre la science et la religion n’y est pas un sujet prépondérant. Dans Que la fête commence (1975), Bertrand Tavernier met ainsi en scène le régent Philippe d’Orléans (Philippe Noiret) qu’il peint en agnostique mélancolique et libertin lucide. Mais le Régent méprise surtout les convenances et l’institution de l’Eglise. Au jeune roi Louis XV, honteux de l’érection qu’il s’est découverte au réveil, il explique : « Ce sont les hommes qui ont inventé le péché. On ne devrait pas te faire peur avec ça. Il y a des choses tellement plus vilaines.» L’Eglise se rend par ailleurs coupable de marier à la hâte, au hasard et sous la menace des fusils, les hommes et femmes envoyées de force peupler la Louisiane, mais aussi de réduire les indigènes en esclavage et de « faire de la politique » comme le Régent le reproche aux Jésuites.

Son complice, confident, conseiller et quelque chose comme son meilleur ami est l’abbé Dubois (Jean Rochefort) qui jure comme un chiffonnier et veut devenir archevêque bien qu’il soit résolument athée et ne connaisse la Bible, de son propre aveu, que « par ouï-dire ». Mais il est célibataire, ce qui « est essentiel quand on brigue ce poste ». La mort hante les deux hommes, mais tourmente davantage le Régent qui re­grette de ne pas croire en Dieu. « Naturellement païen et difficilement chrétien », Dubois n’est pas porté sur l’angoisse existentielle et – se sachant malade – a surtout peur de souffrir. Tavernier ne fait pas de cette figure historique le méchant qu’a peint Saint-Simon dans ses « Mémoires » ou plus tard Alexandre Dumas dans son roman « Une fille du Régent ». Quand le film sort en 1975, l’athéisme grivois et assumé de Dubois, son refus de l’hypocrisie ambiante et son réalisme politique, mais aussi son courage et sa détermination à s’imposer aux nobles qui le méprisent (son père était un simple apothicaire), en font un personnage à la fois séduisant et moderne.

Cinéaste politique et athée proclamé, fortement influencé par Brecht, Gramsci et le mouvement de la réforme psychiatrique italienne dans les années 1970, Marco Bellocchio met en scène dans L’ora di religione (2002) un peintre athée prénommé Ernesto (Sergio Castellito) auquel un prêtre vient un beau jour apprendre la nouvelle de la prochaine canonisation de sa mère. Or, non seulement Ernesto ne croit pas en Dieu mais il détestait sa mère ! Ce qui par la suite le perturbe plus que tout, c’est l’obsession reli­gieuse que semble développer son jeune fils Leonardo, hanté par la mort et angoissé par l’omniprésence de Dieu. « S’il est partout, je ne suis plus libre une seconde. » « Va-t-en, » crie alors l’enfant à Dieu, version aimable du tonitruant « Porca Madonna, porco Dio » que lâchera le frère (fou) d’Ernesto.

Ernesto refuse ostensiblement de serrer la main du prêtre venu lui annoncer la canonisation. « J’ai les mains sales, » s’excuse-t-il et en effet, il les a salies en peignant. Ces mains d’artiste littéralement et symboliquement tachées, c’est la liberté d’esprit et de pensée qu’Ernesto oppose au pouvoir de l’Eglise et à l’hypocrisie d’une société qui associe la religion à une assurance sur la vie et sur l’au-delà. Ce qui compte, dit Ernesto à son fils, c’est la cohérence et « penser librement ». C’est se libérer non seulement des dogmes de l’Eglise, mais aussi des a priori et des chemins tout tracés, endosser la responsabilité de sa vie et de la société. L’ora di religione est un film férocement anticlérical. Mais c’est surtout une réflexion sur la liberté de l’être humain, si difficile à sauvegarder dans un monde superficiel, bâti sur la fausse dévotion et les valeurs matérielles, qui fait de ceux qui osent penser librement des solitaires et des hérétiques, au sens religieux et non religieux du terme. Bellocchio fait de l’athée le symbole et l’incarnation de cette opposition radicale au prêt-à-penser et au « penser religieusement », loin des fins conciliantes et bien-pensantes du cinéma américain.

  1. « Der praktische Atheist lebt sein Leben so, als ob es für ihn keinen Gott gäbe. Das heißt, Gott ist kein bestimmendes Element seiner alltäglichen Lebenswelt. » Norbert Campagna, « AHA – Überlegungen zum Programm einer neuen Vereinigung », dans forum 302, décembre 2010, p. 4-6.
  2. Auteur, entre autres, de célèbres films bibliques dont deux versions de Ten Commandments, 1923 et 1956, ainsi que The King of Kings, 1927 ou encore Samson and Delilah, 1949.
  3. AFI Catalog ; URL : https://catalog.afi.com/Catalog/MovieDetails/9405 (dernière consultation : 19 avril 2020).
  4. Tous les titres qui précèdent sont issus du catalogue de l’American Film Institute ; URL : https://aficatalog.afi.com (dernière consultation : 19 avril 2020).
  5. Le code Hays était un code dit d’ « autorégulation » que s’étaient donné les producteurs hollywoodiens. Il a été appliqué de 1934 à 1968.
  6. Voir Viviane Thill, « Les sorcières de Hollywood », dans forum 130, octobre 1991, p. 44-47.

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