Une jeune Luxembourgeoise avait perdu sa carte d’identité. Elle s’adressa alors au fonctionnaire communal pour en demander une nouvelle. Et le fonctionnaire lui dit : « Non, vous voulez dire votre carte de séjour ». Elle répondit : « Non, la carte d’identité ». Et le monsieur d’insister : « Non ! vous voulez dire votre carte de séjour ! » Alors la jeune fille insista à son tour : « Non ! ma carte d’identité je vous dis ! » Le fonctionnaire se mit à taper dans son ordinateur et dut constater que la jeune fille possédait bien la nationalité luxembourgeoise et donc une carte d’identité. Et du coup il fit: « Ah… oui… C’est bien votre carte d’identité. » Mais il ne s’excusa pas d’avoir pris la jeune fille pour une étrangère, visiblement parce qu’elle avait le teint basané.
L’épisode fut un de ceux racontés par Mirlene Fonseca Monteiro (Finkapé, Réseau Afrodescendant Luxembourg) lors de la conférence que l’ASTI avait organisée en collaboration avec le CET, la CNDH et le CLAE le 13 novembre dernier au grand auditoire du Cercle Cité, bondé. Madame Fonseca avait recueilli le témoignage parmi d’autres non moins choquants, concernant notamment le milieu des enseignants, dans le cadre de son travail de master portant sur la place que s’attribuent les jeunes adultes d’origine capverdienne au sein de la société luxembourgeoise. Ces propos donnaient vie – mais quelle vie ! – aux statistiques relatées par Michael O’Flaherty, directeur de l’Agence européenne pour les Droits fondamentaux, qui a présenté le rapport de son agence sur la perception du racisme dans 18 pays membres de l’Union européenne publié en 2018.
Selon cette étude, le Luxembourg se trouve à la 2e place, avec 52% de réponses positives à la question : « Vous êtes-vous senti victime d’un harcèlement raciste au cours des 5 dernières années ? » Le Luxembourg occupe même la première place quand 53% des descendants africains disent qu’ils pensent que la couleur de leur peau semble être la raison principale de leur discrimination, et 42% attribuent la raison à leur origine ethnique. En 5 ans, 30% d’Africains ont été contrôlés à Luxembourg par la police, 12% ont ressenti le contrôle comme dû à la couleur de leur peau. Si 8% de la population totale disent vivre dans des logements surpeuplés, c’est le cas chez 45% des descendants africains vivant au Grand-Duché. 36% d’entre eux disent avoir subi une discrimination raciste au moment de chercher un logement ; pour ce facteur le Luxembourg se trouve à la 3e position. (Grâce à une bonne couverture médiatique de la conférence ces chiffres sont connus entre-temps, mais les abonnés du LW n’ont pas eu droit à un tel reportage.1)
Ces résultats européens ne font en somme que confirmer l’étude du CEFIS de 2017 sur la diaspora capverdienne qui avait établi qu’un ménage capverdien ne dispose en moyenne que de 87 m2 de logement contre 141 m2 pour un ménage luxembourgeois, que seuls 3% des enfants capverdiens fréquentent le secondaire classique contre 31,5% de la population totale, etc.2 Mais cette nouvelle étude européenne souligne le caractère raciste de ces discriminations que les responsables luxembourgeois avaient plutôt tendance à considérer comme sociales.
Tout comme l’ensemble de l’auditoire, la ministre de la Famille et de l’Intégration Corinne Cahen s’est dite choquée par ces chiffres. Elle ne croyait pas que le racisme était aussi virulent au Luxembourg et qu’il était pire que dans le reste de l’Union européenne, à part la Finlande (les pays de l’Europe de l’Est ne figurent pas dans l’étude, il est vrai). Face à cette réaction ministérielle, une auditrice s’est dite à son tour choquée : « Mais où étiez-vous Madame ? Ces faits ne datent pourtant pas d’hier! » Elle aurait subi ces harcèlements racistes à l’école il y a quinze ans déjà. Le propos de la ministre peut en effet étonner, car l’étude de l’Agence européenne est connue du gouvernement depuis un an. Et Laura Zuccoli, présidente de l’ASTI, a relevé une autre incongruité provenant de ce ministère : en contradiction avec l’article 6 de la loi du 16 décembre 2018 la lutte contre les discriminations ne figure plus dans le Plan d’action national d’intégration de 2018 ! Le mot « racisme » ne s’y trouve même pas. Par ailleurs la ministre, elle-même victime d’antisémitisme, a encouragé les victimes de harcèlements racistes à déposer plainte. Cela est certes nécessaire, mais comme cette recommandation est restée la seule concrète venant de sa part, on peut lui reprocher d’être restée fidèle au mot d’ordre de son parti libéral : vive l’individualisme, même pour combattre des fléaux sociaux.
Il n’y a d’ailleurs pas que des gens de couleur qui soient victimes de racisme. Pour preuve les lignes suivantes publiées au Tageblatt du 11 octobre 2019, page 2 : Sous le titre Talent aber… Portugiesen und der Fußball un journaliste s’étonne qu’aucun joueur de foot d’origine portugaise vivant au Luxembourg n’ait réussi à être intégré dans l’équipe nationale ou à rejoindre une équipe professionnelle à l’étranger : « Ein Grund dafür könnte die Mentalität sein. Viele Portugiesen in Luxemburg sind technisch versiert und ziehen das schöne dem konsequenten Spiel vor. Auf internationalem Level sind jedoch andere Eigenschaften gefordert. Disziplin, Konzentration, kognitive Fähigkeiten, Laufbereitschaft sind nur einige Faktoren, die den Unterschied zwischen einem Amateur und einem Profi ausmachen. » Ces propos ne proviennent pas d’une lettre à la rédaction, mais font partie d’un éditorial, et aucun commentaire postérieur de la part du rédacteur en chef ou du conseil d’administration n’est venu pour s’excuser auprès de la communauté portugaise de ce que leur éditorialiste reprochait aux Portugais un manque de discipline, de concentration, de « compétences cognitives »…
On se dirait revenu en 1979 quand l’ASTI a été fondée, voire auparavant à l’União qui l’a précédée. À l’époque c’était le Portugais qui travaillait dans le fossé par vent et par pluie et qui devait se contenter d’un gîte dans un poulailler, qu’il fallait défendre contre le soupçon d’importuner les filles luxembourgeoises ou/et de provoquer des rixes à tout bout de champ. Les Capverdiens étaient alors moins nombreux. Aujourd’hui des ressortissants de l’Afrique noire, fonctionnaires d’institutions internationales ou réfugiés érythréens, les ont rejoints. Les victimes potentielles de préjugés racistes sont donc devenues plus nombreuses. Les gouvernements successifs ferment les yeux, comme jadis ils n’ont jamais rien fait pour faciliter la scolarité des milliers d’enfants portugais, feignant d’ignorer – malgré les études MAGRIP et quelques dossiers de forum publiés dès les années 1970 – qu’ils rencontrent d’autres difficultés en classe que leurs pairs luxembourgeois.
Une autre raison pour laquelle le racisme ambiant a été longtemps sous-estimé est certainement à rechercher dans le fait que société civile et autorités politiques se rassuraient en constatant avec satisfaction qu’il n’existait pas de parti franchement raciste ou d’extrême droite au Luxembourg. Il n’est pas sûr que ce soit toujours le cas. Des figures emblématiques de l’association Wee2050 ont été accueillies chez l’ADR et l’une d’elles siégera prochainement à la Chambre des députés. Pour les désigner, le qualificatif d’extrême droite est désormais admis, même par le parquet, car il a classé sans suite une plainte que le futur député ADR avait déposée pour injure contre un historien qui l’avait qualifié comme tel. Les commentaires de ces personnes sur Facebook et leur fanatisme linguistique les rapprochent en effet dangereusement d’un racisme larvé.
L’épisode relaté au début de cet éditorial me conduit encore à une autre conclusion : Ceux qui réclament un passeport luxembourgeois, conditionné à la pratique du luxembourgeois, à qui veut participer aux élections nationales n’ont rien compris aux véritables facteurs d’intégration. La jeune fille avait manifestement la nationalité luxembourgeoise, et pourtant le fonctionnaire communal l’a considérée comme étrangère. La nationalité luxembourgeoise n’est définitivement pas une condition nécessaire ni suffisante pour juger du degré d’intégration et pour accorder le droit de vote. D’ailleurs, l’ASTI qui fête cette année ses 40 ans d’existence et de luttes, fait bien de ne plus parler d’intégration, car comment intégrer 47% d’étrangers dans 53% d’autochtones ? Le Luxembourg est une société multiculturelle et le passeport n’y change rien du tout. Soyons reconnaissants à l’ASTI qu’elle continue à être la mauvaise conscience de la société luxembourgeoise composée de détenteurs de plus de 150 passeports différents. forum aura certainement l’occasion au cours des prochains mois de revenir sur les mérites de l’ASTI et sur les luttes qui continuent à mobiliser ses forces.
- Voir https://www.asti.lu/conference-debat-being-black-in-luxembourg-un-franc-succes/ pour une vidéo de la conférence intégrale (dernière consultation : 26 novembre 2019).
- Voir RED n° 21, 2017; forum 382, mars 2018, p. 5-7; forum 383, avril 2018, p. 26.
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!
