Quid des usagers dans la nouvelle loi universitaire?
Alors que les débats publics sur le projet de loi 7132 portant organisation de l’Université commencent enfin à s’intensifier (même si on doit regretter l’absence de tout commentaire de la part du CSV), il faut constater qu’ils tournent essentiellement autour de l’autonomie de l’Université et de la démocratisation des structures de décision. Pourtant la loi concernera aussi les conditions de travail et d’études des étudiants, des chercheurs et des enseignants.
À ce propos, il faut saluer un progrès de taille : les doctorants auront dorénavant 48 mois pleins pour accomplir leurs recherches et rédiger leur thèse. Par rapport au 36 mois (prolongeables de 12 mois sur demande motivée), c’est un gain de temps substantiel, d’autant plus que la soutenance aura lieu dans les quatre mois après ce délai, alors qu’actuellement la soutenance doit avoir lieu dans un délai de 36 mois.
En revanche, la nouvelle loi rendra bien plus difficile l’accès aux études doctorales aux étudiants seniors. Surtout en sciences humaines, un nombre appréciable d’adultes, soit au moment de leur retraite, soit même avant, ont profité de la création d’une université à proximité pour rédiger une thèse de doctorat, apportant à la recherche souvent un savoir et une perspective enrichie de leur expérience professionnelle. On vient de fêter, le 12 décembre dernier, Madame Marie-Paule Theisen, ancienne institutrice, qui vient de se voir décerner le diplôme de doctoresse en psychologie à 75 ans. Comme le projet de loi prévoit que tout doctorant devra dorénavant s’inscrire dans une école doctorale qui comportera la participation à des cours «consacrés à l’acquisition de compétences méthodologiques et transversales», mesure qui peut paraître utile pour de jeunes doctorants sans expérience, ce fardeau de peu d’utilité risque de décourager dorénavant bien des chercheurs expérimentés. Il rendra pratiquement impossible des études doctorales à des candidats qui voudraient s’y inscrire de façon concomitante à leur emploi professionnel, alors que j’ai eu le privilège de diriger avec grand succès les thèses de plusieurs doctorants sous ce régime. Et aucune dispense ou dérogation n’est prévue, ni dans ce cas, ni en ce qui concerne la durée maximale des études doctorales, comme le fait l’actuel règlement grand-ducal.
Le multilinguisme, jadis un objectif-phare de l’Université créée par la loi de 2003, ne sera plus qu’une ligne directrice pour les études de bachelor et de master. Est-ce à dire que les études de doctorat pourraient se voir imposer le tout anglais? Cette absurdité est depuis des années une exigence du Fonds national de la recherche qui oblige tout candidat à une allocation de formation-recherche (AFR), c.-à-d. à tout doctorant potentiel, d’introduire son dossier en anglais, même si le sujet de la thèse portera sur la littérature allemande, la grammaire luxembourgeoise ou l’histoire régionale. La loi autorisera-t-elle donc d’imposer cette sottise aussi aux études doctorales à l’Université?
Plus grave est l’exigence du Conseil d’État d’inscrire dans la loi le détail des règlements d’études des trois niveaux qui jusqu’ici étaient formulés sous forme de règlements grand-ducaux, alors que dans la plupart des pays ces règlements sont du ressort des universités mêmes, voire des facultés, car ces règles peuvent parfaitement différer d’une discipline à l’autre. Or, sous prétexte que «l’article 23 de la Constitution érige l’enseignement supérieur en matière réservée à la loi», le Conseil fustige le fait que l’article 38 (6) du projet de loi «reste dès lors entièrement muet sur les critères à retenir pour l’appréciation et l’évaluation de la thèse par le jury, voire même sur les conséquences d’un résultat insuffisant du doctorant» et exige «sous peine d’opposition formelle (…) de fixer les principes et points essentiels dans la loi servant de base au règlement des études». Une telle exigence est simplement aberrante, car les principes régissant l’évaluation d’une thèse de doctorat (ou un mémoire de fin d’études de bachelor ou de master) divergent d’une discipline à l’autre. Le refus du Conseil d’État d’accorder cette autonomie à l’Université est, à mon humble avis de non-juriste, doublement contestable. D’une part le bout de phrase de l’article 23 de la Constitution qui dit que la loi «règle pour le surplus tout ce qui est relatif à l’enseignement», constitue la deuxième partie d’une phrase qui porte sur «les moyens de subvenir à l’instruction publique ainsi que les conditions de surveillance», et non pas sur les contenus et les critères de promotion de l’enseignement.
Et d’autre part, parce que ce problème avait déjà plombé les débats au moment du vote de la loi universitaire en 2003, le législateur avait amendé la Constitution en y insérant l’article 108bis qui dit: «Dans la limite de leur spécialité le pouvoir de prendre des règlements peut être accordé (aux établissements publics) par la loi qui peut en outre soumettre ces règlements à l’approbation de l’autorité de tutelle.» Si le règlement des études n’est pas de la spécialité d’une institution de l’enseignement supérieur, quoi donc? Par ailleurs, si le raisonnement restrictif du Conseil d’État était juste, les diplômes de tous les niveaux délivrés par l’Université du Luxembourg depuis sa création seraient entachés de nullité, car basés sur un règlement grand-ducal de 2006 au lieu d’une loi. Et l’expérience de plus de dix ans a démontré que cette règlementation manque de flexibilité et est par endroits difficile à appliquer; les cas de force majeure (p. ex. les difficultés administratives pour accéder à certaines archives qui font prolonger les recherches d’un jeune historien sans qu’il ne puisse rien y changer) ne sont, p. ex., prévus nulle part.
Une dernière remarque concerne les articles du projet de loi consacrés aux professeurs. La distinction, pratiquée par l’article 24, entre trois catégories: «ordinaire», «associé» et «assistant», est des plus artificielles et conduira en pratique à des décisions purement arbitraires. Comment distinguer en effet un/e candidat/e qui «dispose d’une réputation et expertise internationalement reconnues sur base de la qualité de ses travaux de recherche dans des publications internationales ou dans des ouvrages reconnus» d’un candidat qui «dispose d’une réputation fondée sur la qualité de ses travaux de recherche dans des publications internationales ou dans des ouvrages reconnus», voire d’un/e candidat/e qui simplement «est auteur de travaux de recherche dans des publications internationales ou dans des ouvrages reconnus»? Ne vaudrait-il pas mieux instaurer un système de promotion interne sur base d’une évaluation par des pairs après un délai plus ou moins régulier de trois ou cinq ans, quitte à inscrire un/e candidat/e qui était déjà professeur à une université étrangère immédiatement dans la catégorie supérieure?
Le projet de loi exige finalement que «les professeurs tiennent à jour leurs compétences scientifiques et pédagogiques», ce qui va de soi. Mais il n’accorde un congé sabbatique qu’après sept ans, ce qui est beaucoup moins souvent que dans la plupart des pays occidentaux, Royaume-Uni compris. Et ce qui plus est: il refuse un tel congé scientifique aux professeurs-assistants, les moins qualifiés selon l’article 24, qui donc auraient le plus besoin d’une dispense de cours pour améliorer leur formation tant scientifique que pédagogique.
Il reste donc du pain sur la planche des députés de la commission de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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