Il n’y a sans doute pas beaucoup d’administrations étatiques ou paraétatiques qui un jour cessent en toute légalité leur activité. Or, tel est le cas du Fonds de rénovation de la Vieille Ville qui a mis la clé sous le tapis le 31 décembre 2017. À la différence d’autres promoteurs publics et privés, il s’est occupé de façon exemplaire d’une partie centrale du patrimoine architectural historique de la ville de Luxembourg. C’est pourquoi ce deuxième article de la série de forum consacrée à l’Année européenne du patrimoine culturel cherche à en dresser un premier bilan sommaire.

J’écris ces quelques lignes avec d’autant plus de satisfaction que, une fois n’est pas coutume, je revendique le mérite, en tant qu’ancien président de «Jeunes & Patrimoine», d’avoir inspiré au rapporteur de la loi du 29 juillet 1993 portant création d’un fonds pour la rénovation de quatre îlots du quartier de la Vieille Ville de Luxembourg (appelé par la suite «le Fonds»), le député René Kollwelter (POSL), un amendement au projet de loi déposé par le ministre des Travaux publics, Robert Goebbels. Afin d’assurer que le Fonds ne se limite pas à conserver des façades tout en démolissant les structures internes des bâtiments dont la loi lui confiait «la restauration, la transformation, la construction ou l’adaptation» (Art. 2), l’amendement proposait de prévoir au comité-directeur du Fonds un siège pour un délégué du Musée national d’histoire et d’art. Comme il fallait s’y attendre de la part d’un ministre lauréat du Gëllene Bagger, le gouvernement refusa l’amendement et le député dut le retirer, malgré le vote unanime de la commission parlementaire en sa faveur. En séance plénière le député des Verts Jean Geisbusch avait re-présenté l’amendement ; il fut refusé par 37 voix (PCS et POSL) contre 19 et deux abstentions (deux conseillers PCS de la ville de Luxembourg). Il fallait donc se fier à la promesse de la ministre-déléguée aux Affaires culturelles, Marie-Josée Jacobs, qu’elle nommerait un représentant du MNHA comme délégué de son ministère au comité-directeur (à côté du délégué du Service des sites et monuments historiques). La promesse fut tenue, et bien plus.

En effet, le comité-directeur, sous la présidence de Fernand Pesch, administrateur général au ministère des Travaux publics, engagea une archéologue-historienne, Isabelle Yegles-Becker, qui eut pour mission de dresser pour tout immeuble un état des lieux avant toute modification. Et ce qui plus est, les résultats de ces investigations, dont plusieurs mirent à jour de réelles surprises, furent régulièrement publiés dans les rapports d’activité annuels du Fonds sous forme d’articles de synthèse bien illustrés. En outre, Isabelle Yegles-Becker a pu publier, pour le compte du Fonds, deux livres, l’un consacré en 2002 au Fëschmaart, l’îlot B sur le plan ci-contre, et l’autre tout récent présentant la corniche nord (îlot A). Dans les deux elle présente les analyses fines architecturales, les découvertes archéologiques et l’histoire de l’occupation de chaque maison, tout en proposant certaines conclusions quant aux origines de la ville de Luxembourg qui s’est développée depuis le 10e siècle sur ce plateau situé à l’ouest et en amont du château comtal. Pour ses contributions aux 23 rapports annuels tout comme pour les deux livres, l’historienne-archéologue a sondé les archives du sous-sol et les murs en élévation (dessinés en photogrammétrie), elle a dépouillé les archives de l’écrit, des comptes de la baumaîtrie du 14e-15e siècle aux anciens plans de la ville, tout comme l’iconographie disponible, et elle a inventorié les carrelages, parquets, graffiti, papiers peints, stucs, portes, fenêtres, cheminées, escaliers, ferronneries, boiseries, mobilier, poteries etc., faisant donc appel aux méthodes de l’archéologie, de l’histoire de l’art, de l’histoire de l’architecture et de l’histoire tout court.

On peut certes être d’un avis divergent pour certaines interprétations, mais dans le cadre de cet article il s’agit de souligner les mérites du maître d’œuvre qui engagea dès le début une spécialiste de sorte que même si certaines parties anciennes durent être détruites – dans l’îlot B, p. ex. l’ancien hall d’accueil du musée datant des années 1930 et la maison Neumann dans la rue du Palais de Justice, ces édifices furent remplacées par une architecture contemporaine signée Christian Bauer –,la documentation archéologique et architecturale permettra à tout moment d’en reconstituer l’histoire. Le patrimoine historique est donc sauvegardé pour les générations futures. Ce n’est pas le cas, p. ex., de l’îlot du Rost, juste en face des îlots sauvegardés de la vieille ville, ou de l’îlot Clairefontaine, démolis et reconstruits autour des années 1990 par l’État et des promoteurs privés. Dans ce dernier îlot la tour de la première enceinte s’effondra de nuit, par pur hasard, et les fondations de la porte qui enjambait la rue de l’Eau n’auraient pas été enregistrées, si Raymond Linden et «Jeunes & Patrimoine» n’avaient pas sonné l’alarme.

Certaines découvertes du Fonds font réellement avancer nos connaissances du passé de la ville, plus exactement de ses vieux quartiers. Ainsi des tessons de céramique datant du 5e siècle av. J.-C. tout comme diverses trouvailles romaines viennent renforcer l’hypothèse d’un peuplement du plateau avant Sigefroi. Dans les caves de l’ancienne clinique Saint-Joseph furent trouvés des robinets de tonneaux à vin, ce qui correspond bien à la socio-topographie médiévale qui situe au vieux marché devant l’église Saint-Michel le quartier résidentiel de la haute bourgeoisie active e. a. dans le commerce du vin. Dans les caves des maisons de la rue Wiltheim aussi bien que sous le jardin du palais de justice ont été retrouvés des bouts du mur d’enceinte médiéval. Dans le Schéieschlach l’archéologue a retrouvé le niveau d’origine d’une rue pavée qui descendait vers le Pfaffenthal avant que le mur d’enceinte ne vienne obstruer la sortie et par-dessus de laquelle avaient été construites des maisons : le tout a été scanné en 3D.

Mais le Fonds ne fit pas seulement conserver l’histoire des maisons et quartiers de la vieille ville sous forme de documentation. Sinon tous, du moins certains immeubles furent restaurés et leur caractère ancien mis en valeur. Une des plus belles réussites en ce sens constitue certainement l’ancien palais du gouverneur agrandi par le comte Mansfeld au 16e siècle, transformé au 19e siècle en palais de justice et qui sert depuis quelques mois comme ministère des Affaires étrangères. Mais les maisons particulières intégrées dans le MNHA du côté est de la rue Wiltheim ont également été restaurées de manière à rendre mieux lisibles leurs structures d’origine tout en facilitant le parcours du visiteur du musée. Citons encore les caves de l’ancien siège du Conseil provincial redécouvertes sous le Marché-aux-Poissons et réaffectées au MNHA qui y a aménagé en sous-sol une partie de sa section archéologique alors que l’immeuble Gëlle Klack également rénové a été transformé en hôtel. La valorisation du quartier historique profite aussi de l’ouverture de nouveaux passages pour piétons entre différents îlots ainsi que le long du rempart nord entre le Conseil d’État et les Trois Tours.

Le Musée national d’histoire et d’art, le Conseil d’État, le ministère des Affaires étrangères ont pu emménager dans des immeubles flambant neufs, équipés de la technologie la plus récente, mais installés, au moins les deux derniers, dans des immeubles historiques mis en valeur. Les autres immeubles ont été vendus comme logements à des particuliers, certes au prix fort, de sorte qu’on ne peut guère parler d’une véritable revitalisation du quartier de la vieille ville. Si l’approche du Fonds en matière d’analyse archéologique et historique préalable et de documentation postérieure, mais aussi en matière de revalorisation respectueuse de l’ancien, peut absolument être recommandée comme modèle pour d’autres projets urbanistiques en milieu historique, que ce soit à Luxembourg ou dans d’autres localités du pays, il serait mieux encore d’associer l’aspect social à la question de la conservation du patrimoine culturel.

À lire :
Fonds de rénovation de la Vieille Ville, Rapport[s] d’activité et bilan[s], 1994-2017.
Michel Pauly, «Am Rost droht neuer Abrißskandal», in: forum Nr. 114/1989, S. 3-5.
Jemp Kunnert, «Et la série continue», in: forum Nr. 143/1993, S. 32-34.
Michel Pauly, «Altstadtsanierung: Auf dem Weg zum Respekt vor der Geschichte», in: forum Nr. 154/1994, S. 12-17.
Isabelle Yegles-Becker, De Fëschmaart. Description, Esch-sur-Alzette 2002.
Isabelle Yegles-Becker, La corniche Nord de la Vieille Ville de Luxembourg. Architecture, Archéologie, Histoire, Luxembourg 2017.

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