Guy Rewenig: Comment blanchir les bêtes noires sans les faire rougir

Nouvelle parution

En 2007, Mwayé avait écrit une lettre au président du Luxembourg. Comme celui-ci a dû s’enfuir à Bruxelles «parce qu’il était impliqué dans un sale scandale au sein des services secrets» (p.5), Mwayé s’adresse dix ans plus tard au ministre des Affaires étrangères qui est aussi un fameux cycliste, alors qu’Andy Limace s’est recyclé en «béat marchand de cycles» (p. 23). Comme jadis, Mwayé scrute le microcosme luxembourgeois d’un regard africain, stupéfait, amusé, mais finalement solidaire. Et rien ne lui échappe: le glamour boy devenu Premier ministre, les descentes policières dans la rue de Strasbourg, les chauves-souris de Stinguéforté, les dîners de bienfaisance – à côté du traitement réservé aux réfugiés, le Tschäritti bizenëss est un des thèmes de prédilection de l’auteur –, les Déckkäpp, le MUDAM, le TNL ou plutôt le Théâtre Continental du Luxembourg, la construction du tram, le couple grand-ducal héritier, la fête des tracteurs, le nation branding, l’aversion envers les Allemands, le Crémant, les spécialités culinaires pseudo-luxembourgeoises, le paradis fiscal, le culte asselbordien, et j’en passe et sans doute des meilleures, car plus elles sont courtes, plus elles sont incisives, grinçantes, méchantes.

Mwayé écrit sa lettre dans un français très simple, comme tout Africain n’est-ce pas, mais avec des bribes de luxembourgeois, car il est bien en train d’en faire l’apprentissage. Ce qui fait que son texte ne sera pas d’un abord facile pour un francophone pur. Mais un Luxembourgeois en aura pour son compte. À condition qu’il sache encore rire. «Et revoilà l’épineuse question du rire. Comment rire à la luxembourgeoise? Je n’y parviendrai jamais. J’ai essayé, j’ai échoué. J’espère que je me trompe, mais j’ai l’impression que le rire luxembourgeois n’est ni innocent ni léger. Au Grand-Duché, on ne rit jamais par pur plaisir, sans réfléchir et sans chercher justification. C’est très mal vu de rire comme un fou, donc comme une personne librement déraisonnable qui ne s’occupe pas du bon sens. Le rire luxembourgeois a toujours une signification. C’est souvent un rire ciblé, bien aiguisé, bien dirigé, un rire parfois lourd et grave, même un rire accusateur. Ce rire veut dire: Attention, je ris parce que je vais me fâcher.» (p. 97) Le miroir que nous tend Mwayé provoquera certainement chez certains qui s’y reconnaissent un rire jaune. Pour se comporter en bon Luxembourgeois, Mwayé se voit donc adresser le conseil qu’«il vaut mieux ne pas abuser du discours ironique au Luxembourg. Les Grand-Ducaux abhorrent le second degré.» (p. 222). Mais tous les dix ans, une lettre c’est vraiment parcimonieux.

Il faut être bien au fait de l’actualité luxembourgeoise des dernières années pour comprendre toutes les allusions que l’auteur nous sert en prouvant, une fois de plus, qu’il sait manier le français aussi bien que le luxembourgeois ou l’allemand, au point qu’il détaille les variétés phonétiques du même mot prononcé par un Français ou un Luxembourgeois. Un tel livre peut-il alors accéder au statut de littérature durable, universelle, à lire encore dans vingt ou cinquante ans, peut-être même en salle de classe? Montesquieu a bien réussi le pari avec ses Lettres persanes. Pourquoi pas Guy Rewenig?

michel pauly

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