La chaire de recherche en études parlementaires de l’Université du Luxembourg vient de présenter les premiers résultats de son étude sur les législatives 2018.1 En attendant sa publication vers la fin de l’année, nous présentons quelques réflexions inspirées par les slides aimablement mis à notre disposition par Philippe Poirier.
L’OVNI des Pirates
Le parti des Pirates qui avait fait liste commune avec le PID, parti de l’ex-député ADR sécessionniste Jean Colombera, s’est invité avec ses 6,5% et ses deux députés comme le vainqueur surprise du scrutin de 2018. Le sondage postélectoral2 de l’UdL nous permet de cerner les électeurs de cet ovni politique. Globalement, l’électorat du Luxembourg est confiant dans l’avenir économique, satisfait avec l’état de la démocratie nationale et dans sa grande majorité se voit faire partie de la classe moyenne, voire de la classe moyenne supérieure. Les électeurs des pirates par contre, sont inquiets pour leur avenir, mécontents de l’action politique en général et se sentent défavorisés économiquement. Ils réclament leur appartenance à la classe moyenne inférieure et à la classe ouvrière. (Pour les revenus voir graphique 1) Ce qui frappe le plus, 69% de l’électorat pirate / PID se disent peu ou pas du tout intéressés par la politique (voir graphique 2). Alors rien d’étonnant que 66% aient fait leur choix pendant la dernière semaine.
En attendant de connaître la structuration par l’âge et le transfert des voix entre les électorats (Wählerwanderung), mais aussi l’étude du panachage, on peut, au regard d’autres questions, avancer l’hypothèse que le parti pirate, contrairement à son image originelle, n’est pas le parti des geeks, mais probablement le parti d’une frange de la population défavorisée et dépolitisée. Son électorat rejoint, au moins sur certaines questions, celui de l’ADR.
Pour en finir avec le clivage 80% vs. 20%
Après le référendum de 2015, les militants regroupés dans le mouvement NEE2015, fer de lance contre le droit de vote pour les étrangers, ont voulu s’arroger la paternité de la victoire et s’ériger en porte-parole des 78% ayant voté NON. Dans leur dépit, certains militants du OUI ont repris ce discours, ne voyant pas que la motivation du NON ne se limitait pas aux arguments ethno-populistes, mais avait des raisons multiples.3
Bercés par l’illusion de parler pour la majorité silencieuse – l’omineuse Mëtt vum Vollek – les militants du NEE2015 qui s’étaient renommés en WEE2050 ont fait alliance avec l’ADR et s’attendaient à un raz de marée. Mais le score de l’ADR n’était pas à la hauteur des espoirs et les candidats du WEE2050 se retrouvaient derrière les vieux briscards du parti.
Quatre questions du sondage ont trait à leur fonds de commerce : l’identité nationale qui s’incarne aussi dans la fidélité à l’église (catholique) et dans le patriotisme linguistique. Les réponses à ces questions (voir tableau) font apparaître une certaine convergence entre, d’un côté, les électorats des trois partis d’opposition : le CSV, l’ADR et les Pirates / PID et, de l’autre, celui des trois partis gouvernementaux ainsi que de la Gauche.
Après le NON au droit de vote lors du référendum, le code de la nationalité a été réformé pour faciliter l’acquisition de celle-ci, notamment en diminuant le niveau en langue luxembourgeoise exigé. Pour les champions du NON, cette réforme a été vécue comme une trahison de la volonté du peuple. Dans le sondage post-électoral, elle est approuvée par 77% de l’électorat. Elle est carrément plébiscitée par l’électorat de la coalition gouvernementale et de la Gauche. Les électeurs du CSV sont moins enthousiastes (66% pour), ceux des pirates / PID encore plus mitigés (61% pour). Seuls les électeurs de l’ADR sont majoritairement contre (seuls 39% sont pour).
Deux questions portent sur l’enseignement des langues, sujet que le WEE2050 a voulu transformer en débat « identitaire ». 72% de l’électorat approuvent les filières multilingues dans l’enseignement public. Celles-ci sont seulement rejetées par les électeurs de l’ADR et des Pirates. L’électorat du CSV étant, avec 62% d’approbation, plus réservé.
L’éducation plurilingue dans les crèches est moins bien acceptée et trouve le soutien de seulement 56% de l’ensemble des électeurs. La promotion du bilinguisme franco-luxembourgeois dans les crèches a, aux yeux du ministre, un double objectif : familiariser les petits luxembourgophones avec le français, sans conteste, la première langue de l’économie luxembourgeoise, et faire entrer la langue luxembourgeoise dans le milieu francocentré des crèches privées pour mieux intégrer les enfants qui ont une autre langue que la langue nationale comme langue de famille principale. Cette mesure est rejetée massivement par 72% des électeurs de l’ADR. L’électorat des Pirates / PID se démarque de celui de l’ADR et a le même taux d’opposition que celui du CSV (59%).
N’oublions pas qu’une des motivations inavouées du référendum était un tour de passe-passe de politique politicienne pour introduire la séparation de l’Église et de l’État. L’église catholique ne s’opposant pas à cette demande, il ne restait plus qu’à décider du sort de l’instruction religieuse à l’école. Le sort du catéchisme fut réglé par une loi sur l’enseignement des valeurs à l’école – ou pour le formuler avec les mots de ses détracteurs : la suppression du libre choix entre une éducation laïque et une instruction religieuse. Cette loi est approuvée par 64% de l’ensemble des électeurs. Seul l’électorat du CSV s’y oppose modérément (59% contre) et celui de l’ADR farouchement (71% contre). Ici non plus, pas de convergence entre les électeurs de l’ADR et des Pirates / PID : ces derniers approuvent « l’abolition du choix » à 67%.
L’idée d’une circonscription unique fait son chemin : en 2009 53% de l’électorat était pour, en 2013 l’approbation était déjà montée à 69%. En 2018 elle reste au même niveau. On ne s’étonnera pas que l’électorat des petits partis soient plus favorables que celui des trois partis traditionnels (voir graphique 3).
1) Philippe Poirier/Raphaël Kies/Dan Schmit, Résultats préliminaires ELECT : Législatives 2018, Mars 2019, http://chaireparlementaire.com
2) Sondage exécuté par TNS-ILRES auprès de 1096 électeurs (18 ans et plus) de nationalité luxembourgeoise, du 20.10 au 10.11.2018. Il faut garder à l’esprit que la marge d’erreur est plus grande pour les petits électorats Pirates, Gauche, ADR.
3) https://www.forum.lu/article die-zufriedenen-und-die-verdrossenen
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