« J’aimerais que le public ressente ce que ressententces femmes »

Esperanza Martin González-Quevedo interprète une femme victime de violence conjugale dans le film Ausser Otem d’Eric Lamhène.

Le 13 novembre sort le long métrage luxembourgeois Ausser Otem (« Hors d’haleine »). Dans ce film coécrit avec Rae Lyn Lee, également directrice de la photographie sur le projet, le réalisateur Eric Lamhène nous emmène dans un foyer pour femmes en détresse. Emma (Carla Juri) y arrive en pleine nuit, après une chute dans l’escalier. Ou c’est du moins ce qu’elle raconte au personnel de l’hôpital qui, soupçonnant un cas de violence domestique, l’oriente vers ce foyer où elle va peu à peu se reconstruire au contact d’autres femmes victimes de violence, telles qu’Esperanza (Esperanza Martin González-Quevedo) à laquelle son mari a arraché ses enfants, Khadij (Véronique Tshanda Beya), échouée là avec ses deux petits garçons, et la jeune Sascha (Alessia Raschella), sommée de démontrer qu’elle est une mère responsable. 

forum a pu s’entretenir avec l’actrice Esperanza Martin González-Quevedo, qui joue l’une de ces femmes et a elle-même vécu dans un refuge pour femmes en détresse. 

© Philippe Reuter / forum

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?  

Je m’appelle Esperanza, j’ai 48 ans, je suis Espagnole et j’habite au Luxembourg depuis quatorze ans. J’ai travaillé comme auxiliaire de pharmacie et j’ai fait un peu de théâtre quand j’étais adolescente. Après quelques années passées au Luxembourg, je me suis retrouvée dans une situation telle que j’ai dû, avec mes enfants, trouver refuge dans un foyer pour femmes en détresse. 

Comment s’est passée la rencontre avec Eric Lamhène et Rae Lyn Lee ?

Un jour, j’étais à la maison et j’ai été contactée par les responsables du foyer qui m’avait hébergée. Ils m’ont parlé d’un réalisateur qui voulait faire un film sur le sujet des femmes en détresse et ils m’ont demandé si j’étais d’accord pour le rencontrer avec sa coscénariste. Eric et Lyn étaient alors en train de se documenter sur le sujet. J’ai hésité, car c’était une expérience qui restait très douloureuse pour moi. Mais on m’a expliqué que ce réalisateur voulait faire son film du point de vue des victimes. Il voulait respecter la façon dont nous avions vécu cette expérience. Alors, j’ai dit que j’étais d’accord pour lui parler. Et, au final, je me suis retrouvée à jouer dans le film. 

Quand j’étais adolescente, j’avais fait un peu de théâtre. Au Luxembourg, j’ai rencontré une Espagnole, Laura Supervielle, qui donne des cours de théâtre et j’ai recommencé avec elle. Mais maintenant que j’ai joué dans le film d’Eric, j’aime encore plus le cinéma que le théâtre. Pour moi, c’est plus réel. J’ai pu apporter au personnage mes émotions et mon expérience. 

Justement, comment voyez-vous ce personnage qui porte le même prénom que vous ?

Je pense qu’Esperanza ressemble à son prénom. Pour moi, elle représente l’espoir. Même si sa situation est extrêmement dure : elle a vécu quatorze ans de violences psychologiques, elle a perdu la garde de ses filles, elle n’a rien en dehors du foyer. Mais elle garde toujours espoir. 

Seul quelqu’un qui a vécu cela peut comprendre ce que ressent cette femme. Elle n’a rien fait de mal et pourtant, on lui a enlevé la garde de ses enfants. Son ex-mari s’est très bien débrouillé pour faire croire à tout le monde que tout est de sa faute à elle, et que c’est lui la victime. 

Vous qui avez vécu cette violence, qu’aimeriez-vous que le film transmette au public ?

J’aimerais que le public ressente ce que ressentent ces femmes. Je pense que le film répond à beaucoup de questions que se posent les gens qui ne savent pas comment fonctionne la violence conjugale. On se demande par exemple toujours pourquoi les femmes supportent cette violence pendant des années, pourquoi elles retournent chez leur ex qui les a maltraitées. On ne se rend pas compte que pour les femmes qui sont dans cette situation, ces questions sont blessantes, elles font mal. Je pense que le film donne des réponses à ces interrogations, mais il encourage aussi les spectateurs et spectatrices à aller plus loin. 

Quand tu vois le film, tu comprends pourquoi Emma va rejoindre son mari. Il arrive très souvent que les femmes maltraitées retournent chez leur ex-conjoint. Après ce qu’il lui a fait subir, Emma pourrait porter plainte contre son mari, mais qui la croirait ? Personne ! Elle en est consciente. Parce qu’il a déjà fait tout ce travail pour que ce soit lui qui apparaisse comme la victime. Et pas elle. 

Dans la plupart des cas, la violence psychologique précède la violence physique et elle est tout aussi dure que cette dernière. La violence, c’est tout un parcours, ça se met en place petit à petit, c’est une évolution. C’est comme une toile d’araignée, toute une structure émotionnelle tissée peu à peu autour de la femme. C’est comme cela que l’homme arrive à la détruire. 

Le film montre aussi ce qui se passe lorsqu’une femme a trouvé refuge dans un foyer. Beaucoup de personnes pensent qu’une fois que les femmes se trouvent dans le foyer, elles ne sont plus confrontées à la violence mise en place par leur conjoint. Mais ce n’est pas vrai.

Et le film décrit également très bien la solidarité, la sororité qui existe entre toutes ces femmes qui habitent dans le foyer. Elles vivent des situations terribles, elles ont toutes des problèmes personnels, mais la sororité est toujours là. Quand une femme va mal, les autres vont l’aider. 

A quel point le film correspond-il à la réalité que vous avez connue ?

Quand Eric et Lyn ont écrit le scénario, j’y ai participé d’une certaine manière, par mon histoire, mais aussi celle de toutes les autres femmes que j’ai rencontrées dans le foyer. Toutes les histoires racontées dans le film sont vraies. Eric et Lyn ont mélangé plusieurs histoires, mais tout est vrai. Pour eux, le plus important, c’était la vérité, la réalité. Ils me demandaient toujours si tel ou tel dialogue me paraissait juste, si ça semblait réaliste. Quand on a commencé le tournage, j’étais donc déjà tout à fait connectée à mon rôle. 

Eric est, à mon avis, un réalisateur très honnête. Il laisse à l’acteur la possibilité de donner son interprétation de la vérité. On a pu improviser, il nous a laissé de la liberté, mais il sait parfaitement ce qu’il veut. Avec Lyn, il a créé une ambiance dans laquelle toutes les actrices se sentaient connectées et jouaient de façon très naturelle. 

Quelle a été pour vous la scène la plus marquante ?

Il y a une scène que j’aime beaucoup et, vraiment, je dis merci à Eric pour l’avoir tournée et m’avoir fait confiance, parce que c’est une scène compliquée. C’est la scène du lac où je suis dans l’eau avec Carla. Cette scène est importante pour moi. Ce que je gardais au fond de moi, une fois dans l’eau, c’est sorti. Pour moi personnellement, il y a un avant et un après par rapport à cette scène. 

© Samsa Film

C’est votre premier long métrage. Comment s’est passée la collaboration avec des actrices qui ont toutes des expériences très différentes ? Carla Juri est une actrice confirmée1, Véronique Tshanda Beya a reçu des prix pour son rôle dans le film Félicité (Alain Gomis, 2017) et Alessia Raschella était encore étudiante en théâtre au moment de la production.

C’est un cocktail magnifique ! Ça s’est vraiment très bien passé. J’ai appris quelque chose de chacune d’elles. Par exemple avec Carla Juri, on peut avoir des conversations vraiment très profondes sur le rôle. Nous avons eu beaucoup de discussions sur les personnages, de sorte que même avant que la caméra ne tourne, nous étions déjà dans notre rôle et en très forte connexion. Véro a vraiment une énorme énergie. Et Alessia, qui est encore toute jeune, elle a un grand naturel. Toutes ont amené quelque chose au film et elles ont donné le meilleur d’elles-mêmes.

(L’entretien a été mené le 4 octobre par Viviane Thill, qui collabore actuellement à un scénario avec Eric Lamhène.)  


public forum

En collaboration avec Ciné Utopia, forum vous invite à la projection du film suivi d’une discussion, le 18 novembre à 18h15.

Plus d’informations sur www.forum.lu.


1 L’actrice suisse Carla Juri est notamment connue pour avoir interprété le rôle principal dans le film Feuchtgebiete (David Wnendt, 2013) ou encore le docteur Ana Stelline dans Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, 2017).

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