Les Luxembourgeois, les immigrés, les frontaliers et les autres

Faits et chiffres

Le travailleur frontalier

C’est en en 1971 que le terme « travailleur frontalier » fait son entrée dans le corpus réglementaire de l’Union européenne. Il « désigne tout salarié ou non salarié qui exerce son activité professionnelle sur le territoire d’un État membre et réside sur le territoire d’un autre État membre, où il retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine ». En 1974, au lendemain de la crise sidérurgique, le Luxembourg comptait 12.000 de ces frontaliers sur une population active d’environ 155.000 personnes. Qui alors aurait pu prévoir l’essor que notre économie allait prendre dans les cinq décennies suivantes ? Qui aurait pu deviner que le recours à la main d’œuvre frontalière serait la condition nécessaire de cette croissance ?

Statistiques d’emploi

Dès lors la statistique de l’emploi connaîtra trois composantes : les résidents de nationalité luxembourgeoise, les résidents d’autres nationalités et les frontaliers. Le graphique 1 montre l’évolution de ces trois groupes sur le long terme.1 Retenons trois dates : en 1996 le nombre des frontaliers dépassera pour la première fois celui des salariés résidents non-luxembourgeois ; en 2001 il dépassera celui des salariés résidents luxembourgeois ; en 2015 le nombre des salariés résidents non luxembourgeois dépassera celui des luxembourgeois. Le léger tassement de la courbe des frontaliers en 2003 et celui plus marqué en 2008 montrent que ceux-ci jouent un rôle d’amortisseur pour la conjoncture.

Au fil de ces années, le Luxembourg – surtout la capitale et le sud du pays – s’est transformé en bassin d’emploi pour une région transfrontalière toujours plus grande. Ce qui singularise le Grand-Duché des autres métropoles européennes, c’est la dimension réduite de son territoire national. Il constitue un micro-état sans hinterland.

Les pays de résidence des frontaliers

Le graphique 2 montre l’évolution de l’emploi sur ces dix dernières années. Contrairement au premier, il tient aussi compte des travailleurs non-salariés (c.-à-d. des indépendants exerçant une activité professionnelle artisanale ou bien libérale, p.ex. avocat, médecin, architecte, assistant parental) et nous renseigne sur le pays de résidence des frontaliers. La France est depuis toujours le premier pays de provenance des frontaliers et continue à conforter cette première place. Le taux de croissance du nombre des frontaliers de France étant de 33% ; celui des frontaliers d’Allemagne de 24% et celui des frontaliers de Belgique de 22%.

Pour la période de 2009 à 2018 et contrairement aux deux décades précédentes, le nombre des résidents non-luxembourgeois (34%) a augmenté plus fortement que celui des frontaliers (28%). Serait-ce une nouvelle tendance qui s’annonce avec des frontaliers se reconvertissant en résidents ?

Pour être complet et pour donner ce que le STATEC appelle la « vue d’ensemble du marché du travail »,2 il faut encore ajouter 12.900 frontaliers sortants, c.-à-d. des personnes résidant au Luxembourg et travaillant dans d’autres pays, ainsi que quelque 10.000 fonctionnaires internationaux considérés comme exterritoriaux par rapport à l’économie luxembourgeoise.

Les frontaliers atypiques

Immigrés, nationaux et frontaliers. Voilà trois groupes à première vue bien distincts et aux intérêts opposés, au point que des populistes de tous poils ont essayé de les dresser les uns contre les autres: les frontaliers qui bouchent «nos» autoroutes; les «luxos» planqués dans le secteur public derrière un patois érigé en rempart.

Mais à regarder de près, les frontières entre les trois groupes deviennent floues, surtout si l’on fait intervenir l’évolution dans le temps. On oublie en général que le frontalier de France n’est pas nécessairement un frontalier de nationalité française. On oublie que le frontalier peut devenir résident par un simple déménagement et vice versa. On oublie que le frontalier n’est pas nécessairement natif de la région limitrophe, mais souvent un migrant interne à son pays de résidence. On oublie aussi que de nos jours, la citoyenneté luxembourgeoise s’acquiert assez aisément – plus 50.000 acquisitions depuis la promulgation de la nouvelle loi en 2008 – et que la statistique luxembourgeoise comptabilise tous les binationaux comme Luxembourgeois. Ceci vaut pour les naturalisations «normales» et aussi pour les naturalisations «exceptionnelles» selon le «régime du recouvrement».

Sur les cinq dernières années (2013-2017) 7.647 Belges ont pris la citoyenneté luxembourgeoise, dont 6.598 en tant que descendant en ligne directe paternelle ou maternelle d’un aïeul luxembourgeois (à la date du 1er janvier 1900).3 On suppose que parmi ces derniers qui ont recouvré la citoyenneté de leurs ancêtres sans devoir justifier d’une résidence au Luxembourg ou d’une connaissance quelconque de la langue nationale se trouvent un grand nombre de frontaliers. Au moment d’acquérir leur nouvelle nationalité ceux-ci se sont transformés au niveau des statistiques en frontaliers luxembourgeois et sont venus gonfler le nombre des Luxembourgeois parmi les frontaliers de Belgique.

Le lien entre la mobilité pendulaire quotidienne pour aller travailler et la mobilité résidentielle, c.-à-d. les déménagements entre différents pays, a été le sujet de nombreuses études tant statistiques que qualitatives. Une grande enquête basée sur les réponses de 2.000 résidents devenus frontaliers vient à la conclusion que ce sont principalement des considérations financières (prix du logement, devenir propriétaire, changement des revenus, coût de la vie) devant les motivations familiales (naissance d’un enfant, départ du logement parental, mariage/concubinage, divorce/séparation, départ des enfants) et les raisons culturelles (difficultés d’intégration, difficultés linguistiques, système scolaire, retour dans le pays d’origine) qui déterminent le déménagement (respectivement 89%, 59% et 28% des personnes interrogées ont indiqué ces choix).4

« Sans surprise » pour les auteurs de l’étude, les ressortissants des pays voisins s’installent prioritairement dans leur pays d’origine. Les Portugais sont plus attirés par la Lorraine (59%). Les Luxembourgeois, quant à eux, choisissent en majorité la Sarre et la Rhénanie-Palatinat (56%).

L’exode des Luxembourgeois

A la fin du siècle dernier le nombre de frontaliers de nationalité luxembourgeoise venait juste de dépasser le millier, aujourd’hui ils sont 8.600. L’augmentation très forte de leur présence en Belgique est en contradiction avec ce que l’on sait sur la mobilité résidentielle et est, comme nous venons de le relever, le résultat de la prise en compte des néo-Luxembourgeois par la statistique luxembourgeoise.

Une polémique autour de ces chiffres a été suscitée par le député ADR Roy Reding qui prétendait dans l’émission Waltaxi que 30.000 Luxembourgeois habitent les régions frontalières. «Et däerf keng Normalitéit sinn, datt Lëtzebuerger an hierem eegene Land zu Grenzgänger verdaamt ginn.» Le représentant de l’ASTI lui opposait le chiffre de trois mille !

C’est enfin le STATEC qui a tranché en ayant recours aux statistiques des quatre régions voisines. Pour l’année 2018, 8.200 Luxembourgeois sont enregistrés en Rhénanie-Palatinat ; 4.055 sont enregistrés en Sarre; 2.871 dans toute la Wallonie, dont 1.809 dans la province de Luxembourg. Pour la Lorraine, le dernier chiffre publié est de 2.708 pour l’année 2014. Estimant le nombre de Luxembourgeois en Lorraine à 4.000, le STATEC arrive à 19.000 Luxembourgeois qui vivraient dans toute la Grande Région. Ceux concernés par le prétendu exode dans la région frontalière étant nettement moins nombreux.

1) Les chiffres de l’emploi pour la période 2009-2018 sont issus d’un outil interactif de l’IGSS : http://adem.public.lu/fr/marche-emploi-luxembourg/faits-et-chiffres/statistiques/igss/Tableaux-interactifs-stock-emploi/index.html
2) STATEC : Tableau B3100 : Vue d’ensemble du marché du travail 2000 – 2017.
3) Ministère de la Justice, Chiffres clés : Statistiques en matière d’indigénat. http://mj.public.lu/chiffres_cles/index.html
4) CEPS/INSTEAD, La note de l’observatoire de l’habitat, no 14 mars 2010.

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